Canto

French Connection, épisode premier : "Il ne peut y avoir qu'un seul roi à Manchester"

lundi 28 mars 2022 06:46

La rédaction française de Manchester United est fière de vous présenter le premier épisode de French Connection, notre toute nouvelle série originale, une série écrite en français et divisée en 13 épisodes, puisque 13 joueurs français ont officiellement porté les couleurs des Red Devils. Cet épisode pilote retrace ainsi le passage sans égal du premier "Frenchie" de l'histoire du club : le seul et l'unique, le roi philosophe Éric Cantona...

25 novembre 1992. Sir Matt Busby Way, Old Trafford, Manchester, M16 0RA.

Le téléphone de Charles Martin Edwards sonne. « Le timing était étrange, absolument étonnant », se rappellera même Sir Alex Ferguson, des mois plus tard, avec le premier trophée de l’histoire de la Premier League entre les mains¹. Il faut dire que, quelques secondes avant le fameux appel, le désormais légendaire manager de Manchester United, alors présent dans le bureau d’Edwards, venait tout juste de terminer de se plaindre à propos du manque d’agressivité du club dans la quête d’un attaquant et, plus particulièrement, dans celle d’Éric Cantona, dont il pressentait le départ.

Martin Edwards décroche. Coïncidence ou destin ? Au bout du fil, c’est Bill Fotherby, le directeur général de Leeds United, qui vient aux nouvelles pour un potentiel transfert de Denis Irwin. Catégoriquement, Ferguson chuchote à son chairman qu’il considère le latéral irlandais comme intransférable et lui suggère même de se renseigner au sujet de l’exubérant numéro 7 français. Mais, à ce moment, Edwards ne semble pas comprendre les gestes et les bruits agités de l’entraîneur écossais. « Fergie » décide alors d’écrire le nom de Cantona sur un bout de papier. Cette fois-ci, Martin Edwards capte le message et s’exécute.

Ce qui s’est dit vraiment lors de cet appel reste encore aujourd’hui très flou. Mais telle est la version des faits de Sir Alex, une version qu’il a un peu changée avec le temps. Pour précision, Martin Edwards prétend, lui, qu’il était seul durant la discussion téléphonique et que c’est lui qui a évoqué en premier l’idée d’un transfert impliquant Cantona².

Quoi qu’il en soit, environ une heure plus tard, Fotherby rappelle Edwards, à la surprise générale. Lors du premier appel, il avait pourtant stipulé avoir besoin de 24 heures pour clarifier la situation concernant Cantona mais, en vérité, son choix était déjà fait. En effet, Howard Wilkinson, le coach de Leeds à l’époque, et Éric Cantona avaient du mal à s’entendre. Et, pour couronner le tout, l’échéance d’une prime onéreuse approchait dans le contrat du futur roi de Manchester. Il était donc temps pour Leeds de vendre sa pépite française. Même pour une somme "modique".

Le 26 novembre 1992, Éric Cantona arrive à Manchester United en provenance de Leeds United et est présenté aux côtés de Sir Alex Ferguson.

« Ouais, bien sûr ! Aucune chance ! »

Une première phrase ironique. L’autre, implacable. Après avoir balbutié ces mots pendant une séance d’autographes, la légende mancunienne Lee Sharpe allume sa radio et tombe « sous le choc », selon ses propres dires… À la une des nouvelles du jeudi 26 novembre 1992, Éric Cantona signe officiellement avec Manchester United en provenance de Leeds United.

Il n’y a pas que Sharpe qui est tombé des nues, ce jour-là. La multitude du football anglais venait clairement de prendre une belle claque dans la gueule, si je puis dire. Une claque royale. Celle d’Éric Cantona.

Né à Marseille, le 24 mai 1966, Éric Daniel Pierre Cantona est peut-être le moins surpris. Il a l’habitude d’être médiatisé. Il dit que « quand les gens parlent de toi, ça veut dire que tu existes ».

Le sacre d’un roi français à Manchester

Et, pour exister, ça, il existe vraiment. À l’époque, son transfert est discuté dans tous les sens et on parle beaucoup de Cantona. Pour certains, c’est le dernier lancer de dés de Ferguson à la tête du club, d’autant plus que l’équipe première n’est pas vraiment au sommet de son art lorsque « Canto » pose ses bagages à Manchester. Mais, pour les vrais connaisseurs du football, pour ceux qui vont au stade afin d’être subjugués, pour ceux qui veulent absolument voir le génie de l’un mêlé à la tactique de l’autre, pour les fans en somme, ce n’est rien d’autre qu’une excellente nouvelle. Et une affaire, qui plus est.

Paul Ince se souvient encore de l’arrivée bénéfique du Français au cours de la saison 1992/93 : « Il avait juste cette aura et cette présence. Il nous a enlevé la responsabilité. C’était comme s’il avait dit : ‘Moi, c’est Éric et je suis là pour gagner le titre pour vous !’ »³

Les débuts d'Éric Cantona avec le club, lors d'un derby de Manchester, le 6 décembre 1992.

Le 6 décembre 1992, Cantona fait ses débuts avec United. Tel un prophète, il entre en jeu contre le rival voisin Manchester City mais c’est Mark Hughes qui inscrira finalement le but de la victoire pour les Reds (2-1). Son impact dans le jeu ne se fait pas tout de suite sentir mais Manchester United renoue enfin avec la victoire en sa présence et le club grimpe à la cinquième place du classement en fin de journée, après ce succès dans le derby. Une semaine auparavant, les Red Devils traînaient à la huitième position du championnat anglais.

Il faudra attendre le 19 décembre 1992 et un match nul contre Chelsea, à Stamford Bridge (1-1), pour assister au premier but d’Éric Cantona sous les couleurs mancuniennes. Son deuxième but surviendra également à l’extérieur, une semaine plus tard, lors d’un match nul contre Sheffield Wednesday (3-3), alors que les hommes de Ferguson étaient menés 3-0 à la pause. Deux jours après, il inscrit son premier but à domicile, lors d’une manita infligée à Coventry City, et réussit même à délivrer deux passes décisives pendant la fête. À la fin de l’année, United est troisième et devient un réel candidat au titre final. Et Éric, un légitime prétendant au trône mancunien.

Véritablement, depuis l’arrivée de celui qu’on allait bientôt surnommer « King Éric », les récents et récurrents problèmes à la finition semblent petit à petit disparaître d’un effectif qui paraît de plus en plus performant dans les moments importants. Et, en fin de saison, Manchester United est sacré champion d’Angleterre pour la première fois depuis 26 ans, avec dix points d’avance, et Cantona devient le premier joueur de l’histoire du championnat anglais à gagner le titre suprême deux fois d’affilée avec deux équipes différentes. Le Frenchie est devenu le King. Pas juste de Manchester mais aussi de toute la Premier League.

"Frénésie" à la cour

La saison suivante, United réalise le doublé coupe-championnat. La tactique est réglée comme du papier à musique par le métronome Ferguson et parfaitement instrumentalisée par la classe de 92. Mais elle est surtout régie fièrement, le crâne rasé, le col relevé et à coups de punchlines, par le roi français du championnat anglais. J’ai nommé « Éric, the King ».

« Il illumine Old Trafford. C’est un endroit de frénésie à chaque fois qu’il touche le ballon. » C’est ainsi même que Sir Alex Ferguson décrit le règne de Cantona, à l’époque.

Car ce qu’il se passe dans la cour du roi à cet instant n’est pas juste efficace, c’est beau aussi. À Manchester, Éric Cantona atteint clairement l’apogée de sa carrière et produit des buts de classe mondiale que tout le monde a vu et revu d’un œil assujetti. Vous savez, ce genre de buts qu’on rêve tous de marquer mais dont il nous manque l’inspiration royale…

Une semaine, un but : Le jour où Canto s'est figé

 Article

Chaque semaine, à partir d'aujourd'hui, nous revivrons un but mythique du club. Cette semaine : Cantona v Sunderland.

Kung-fu Cantona

Déjà critiqué pour avoir craché sur un supporter des Peacocks, lors de son premier retour à Elland Road en 1992, Éric Cantona, en bon monarque, capable du meilleur comme du pire, craque le 25 janvier 1995. Venant tout juste de se faire exclure par Alan Wilkie, l’arbitre de la rencontre, Cantona n’est pas d’accord avec la décision mais baisse son col et s’apprête à rejoindre les vestiaires, jusqu’au moment où un fan de Crystal Palace dévale les marches des tribunes de Selhurst Park pour outrageusement traiter le roi d’« enculé de bâtard de Français »⁴.

Comme le veut le proverbe finnois, mieux vaut entendre parler du roi que de le voir. Et, ce jour-là, Matthew Simmons a vu le roi de très près. Cantona a répondu aux insultes, les deux pieds en avant, en se jetant sur Simmons et est même parvenu à lui asséner un dernier coup de poing dans la folie londonienne, avant d’être écarté par un membre du staff mancunien, ainsi qu’un stadier, puis d’être interpellé par un Peter Schmeichel visiblement paniqué.

Pour expliquer la sévérité de sa réaction, le monarque français décide d’organiser une conférence de presse et déclare énigmatiquement à son peuple : « Quand les mouettes suivent le chalutier, c’est parce qu’elles savent que des sardines vont être jetées à la mer. »

Le retour du roi

Le 1er octobre 1995, soit 248 jours après le célèbre incident, Cantona fait un retour triomphal dans son royaume. Dès la 2e minute de jeu d’un match contre Liverpool (2-2), il sert Nicky Butt qui trompe David James pour ouvrir le score. S’en suit un doublé de Robbie Fowler mais Cantona score finalement le but égalisateur sur penalty et Old Trafford ne se prive pas de chanter son nom.

Son come-back royal au Théâtre des Rêves est finalement couronné de succès. Et sa contribution au Manchester United de Sir Alex Ferguson est tout simplement considérable. Pour l’anecdote, c’est aussi lui qui est à l’origine du recrutement de William Prunier, deuxième joueur français à évoluer pour le club (après Cantona) et sujet du prochain épisode de la nouvelle série French Connection.

La fin d’un règne sans fin

En fin de saison 1996/97, à 30 ans à peine, « le philosophe des surfaces »⁵ prend sa retraite footballistique…

« J’ai été footballeur professionnel pendant 13 ans, ce qui est très long. Maintenant, je souhaite faire d’autres choses. J’ai toujours prévu de prendre ma retraite en étant au sommet et, à Manchester United, j’ai atteint l’apogée de ma carrière. »

Lors de son règne, Manchester United a brillé et a continué de rouler sur cette voie royale pendant encore des décennies suivant l’annonce de sa retraite.

En tout, en 181 apparitions sous le maillot des Red Devils, il cumule 81 buts, réalise 62 passes décisives, remporte quatre championnats, ainsi que deux coupes d’Angleterre, et soulève trois fois le Community Shield. Et, hors des terrains, Sa Majesté continue toujours de nous régaler de phrases mythiques, annonçant déjà, bien avant l’heure, l’artiste protéiforme qu’il est devenu aujourd’hui.

Il restera à jamais le premier joueur français de l’histoire de Manchester United et pour toujours le seul roi d’Old Trafford. Et c’est ainsi pour tout bon fan mancunien. N’en déplaise à Zlatan Ibrahimovic, rabaissé au statut de prince par le roi en personne, en 2016 : « Il ne peut y avoir qu’un roi à Manchester. Tu peux être le prince, si tu veux. »

 

¹ in Just Champion! d’Alex Ferguson, 1993, Manchester United Football Club.

² in Glory Glory!: Man United in the 90s d’Alex Mitten, 2009, Vision Sports Publishing.

³ in « How Cantona transformed Manchester United, the Premier League and a Christmas Carol », 28 septembre 2018, FourFourTwo.

⁴ in https://www.sofoot.com/kung-fu-cantona-20-ans-apres-195189.html.

⁵ in « Cantona, l’adieu Au Stade. Le philosophe des surfaces annonce sa retraite », 19 mai 1997, Libération.